Un document complet sera diffusé durant la prochaine conférence des métiers du journalisme. Découvrez la dernière partie, préambule à la quatrième table-ronde.

Jean-Marie Charon, chercheur associé à l’EHESS

La formation des journalistes se fit très longtemps sur le tas, en France, sous
forme de compagnonnage. La première école, l’ESJ de Paris, n’apparaît qu’à
la toute fin du xixe siècle et ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale
que se constituera une offre de formation initiale puis continue, diversifiée.
Parallèlement, la formation des techniciens et ouvriers de fabrication de
la presse écrite s’organisait au niveau du syndicat du livre, chaque métier
se dotant d’une école, à l’image de Coforma pour les correcteurs.

L’approche française est différente de l’approche allemande et suisse, où
dominent l’alternance et le partenariat entre les entreprises de médias et
des structures ad hoc tel le Centre romand de formation des journalistes de
Lausanne (CRFJ).

Quelques entreprises ont cependant créé des structures internes de formation. D’autres ont tenté l’expérience un temps, avant de renoncer. Dans une période plus récente la formation continue peut devenir une source de revenus, principalement dans le registre du numérique.

Situation très hétérogène, avec des mouvements contradictoires selon
les médias. Il est possible cependant d’identifier trois types d’approches,
correspondant à des situations et formes d’entreprises différentes.

Les universités et campus de l’audiovisuel public

En premier lieu les entreprises de service public de l’audiovisuel ont une
activité qui se distingue de l’ensemble des autres médias, par son importance et sa continuité dans le temps.

Dans les années 80, Radio-France et France 3 ont fait le choix de créer des
structures internes de formation continue. Elles comptaient, alors, sur leurs
propres ressources humaines et techniques pour accompagner les nouvelles
offres éditoriales. Il fallait former les personnels pour créer les rédactions
locales aussi bien en radio qu’en télévision régionale. Ce choix était aussi
motivé par l’arrivée de nouveaux équipements de reportage, en particulier le caméscope Betacam pour la télévision. Les centres de formation et les écoles
de journalisme ne pouvaient alors se doter d’infrastructures équivalentes.
Le passage au numérique, puis l’extension de la production sur de nouveaux
supports ont prolongé cette nécessité de disposer de centres de formation internes, sans compter que ceux-ci permettaient d’échanger sur les nouvelles méthodes et pratiques éditoriales, ainsi que la spécificité de chacune de ces entreprises [cf. communications de Didier Désormeaux et André Chaillon].

Il faut noter la situation de TF1 qui se rapproche de cette démarche,
marquant une forme de continuité avec l’ancienne « première chaîne » publique. Il faut évoquer aussi le rôle de l’INA, vis-à-vis du secteur. Celui-ci
continue d’assurer une activité de formation, moins centrale vis-à-vis des
télévisions traditionnelles de par la place occupée par l’Université France
TV. En revanche, l’Institut s’ouvre vers d’autres secteurs, en diversifiant
ses formats, certains très courts (« learn box »).

Tentatives et réalisations au sein des entreprises de presse écrite

En presse écrite plusieurs expériences de création « d’écoles internes » ont
été abandonnées (Académie Prisma) ou n’ont pas vu le jour (Ouest-France). Dans le cas de Prisma presse il s’agissait de combler ce qui apparaissait au
groupe comme un manque, celui d’une formation spécifique au journalisme
de presse magazine, notamment aux fonctions d’encadrement dans ce domaine. Pour Ouest-France c’est davantage une compétence acquise
en interne et en partenariat avec les écoles de journalisme (Centre de
perfectionnement des journalistes notamment) que le groupe envisagea
de transformer en activité propre, ouverte à l’extérieur et pouvant devenir
source de revenus.

La tendance générale dans ce média est plutôt de s’appuyer sur l’offre des
écoles pour la formation journalistique professionnalisante. Dans une période récente cette sous-traitance peut concerner des structures ad hoc, telles que la formation numérique de Wan-Ifra2 ou encore OuestMédiaLab. À ce dernier s’adressent différents médias de l’ouest dont Ouest-France, Le Télégramme, mais aussi France 3 et France Bleu.

La question de la taille et des effectifs des entreprises de presse intervient, la
majorité de celles-ci étant des PME, voire des TPE. Il faut sans doute voir
ici la marque d’une histoire et d’une offre de formation initiale et continue
des écoles de journalisme plus directement en adéquation avec le média
imprimé, particulièrement dans sa forme de quotidien.

Deux entreprises se distinguent par l’importance de leur offre de formation
« générale » à l’intention de l’ensemble de leurs personnels : Bayard et Ouest-France. L’une et l’autre consacrent au moins l’équivalent d’un poste à la conduite et à l’organisation de cette activité. Pour Ouest France un membre de la rédaction en chef est en charge de la formation continue des journalistes : plan de formation, organisation journées thématiques, proposition de conférences d’ouverture. Dans le cas de Bayard, il s’agit d’un
dispositif diversifié, avec en fronton le mot d’ordre « Entreprise apprenante ».

Ce dispositif va de l’ouverture sur le monde, à la sensibilisation prospective,
en même temps qu’il tutoie la formation professionnalisante. La question de
l’approche de l’innovation et des conditions du développement de celle-ci y
occupe une part croissante. La responsable de l’Université est rattachée à la
DRH, avec une relation directe à la direction générale.

La formation comme forme de diversification

Une troisième configuration apparaît, qui fait de la formation une source de
revenus. Celle-ci intervient dans une stratégie de diversification dans le service qui vient compenser la fragilisation des revenus traditionnels (publicité et vente au public). Les pure players d’information et start-up sous-traitantes en éditorial sont très présentes, avec les moocs de Rue89, les formations en data visualisation de Wedodata ou Ask média ou encore au développement informatique de J++. Pour ce dernier la formation représente le tiers du chiffre d’affaires.

Sur un mode plus « business », Centre France – La Montagne, M6 et le
groupe Figaro ont racheté des structures de formation continue. Pour Centre France – La Montagne ce fut l’ESJ pro. Pour M6, il s’agit d’Elephorm, spécialiste d’e-learning vidéo. Pour le groupe Figaro c’est indirectement par l’acquisition de CCM Benchmark, avec son département formation CCM Benchmark Institut.

A l’origine Benchmark est une structure de formation qui reçut son agrément il y a vingt ans, avant de s’engager dans une démarche dans l’éditorial (soit une dizaine de sites d’information dont Le Journal du Net, L’Internaute, CCM, etc.), devenue depuis l’activité principale de l’entreprise. Il n’en reste pas moins que grâce à sa compétence (études et veille, conférences, formations) CCM Benchmark Institut est une composante clé de l’approche repensée d’un dispositif de formation des personnels du groupe Figaro en matière de numérique, mais aussi d’organisation liée au numérique, parallèlement à ceux de CCM Benchmark (dont une centaine de rédacteurs).

Conclusion

Alors qu’une mutation fragilise les modèles économiques, les entreprises de
médias sont peu nombreuses à avoir les moyens humains et financiers de
faire vivre une structure interne de formation, que celle-ci soit strictement professionnalisante ou davantage orientée sur l’ouverture sur le monde,
la culture, voire de renforcement de la culture d’entreprise.

Au même moment se dessine un possible renversement de perspective, où
plutôt que de simplement internaliser la formation continue pour faire du
« sur mesure », il s’agit d’externaliser un savoir-faire, une compétence, voire
une acquisition pour en faire une source de revenus dans le cadre d’une
stratégie de diversification.

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